CHRONIQUE — ENTRE CONSTATS ET CRIS DU CŒUR : QUAND LA NUIT DEVIENT MEURTRIÈRE À L’ HÔPITAL
mai 2, 2025
0
Il est 3 heures du matin. Une femme suffoque, son fils panique. Un médecin veille, seule, devant une urgence vitale dans un hôpital de niveau 3. Ce n’est
Il est 3 heures du matin. Une femme suffoque, son fils panique. Un médecin veille, seule, devant une urgence vitale dans un hôpital de niveau 3. Ce n’est pas une fiction. C’est la scène racontée, avec une colère froide et une dignité accablante, par le Dr Aminata Diop, pneumologue au CHNU de Fann, dans une lettre ouverte adressée au ministre de la Santé. Un témoignage coup-de-poing qui met à nu les failles d’un système de santé à bout de souffle.
Et pourtant, l’alerte venait d’en haut. Le 29 avril 2025, lors de la Revue Annuelle Conjointe, le ministre de la Santé et de l’Action sociale, Dr Ibrahima Sy, s’est dit « profondément préoccupé » par le taux anormalement élevé de décès nocturnes dans les hôpitaux publics. « Trop de morts entre 19h et 6h », a-t-il martelé, appelant à une « réflexion urgente » et à des mesures correctives.
Une prise de parole nécessaire, certes. Mais que cache ce constat froid, sinon un gouffre béant entre la technostructure et la réalité du terrain ?
Un cri venu du front
Dr Aminata Diop ne s’est pas contentée de réagir. Elle a choisi de raconter. Raconter ce que signifie être seule, de 17h à 8h, avec 45 patients, dont quatre en réanimation. Ce que cela coûte humainement d’assister, impuissante, à une détresse vitale sans matériel, sans médicaments, sans renfort. Elle détaille une scène digne d’un drame de guerre sanitaire : un pneumothorax compressif, une acidocétose diabétique, et… l’absence de tout. Ni insuline, ni sérum, ni drainage thoracique disponibles.
À la détresse médicale s’ajoute l’absurde : le fils de la patiente doit acheter les médicaments, mais la pharmacie de l’hôpital ne prend pas Wave. Ni lui, ni la médecin de garde n’ont de liquide. Il est 3h du matin. L’État est absent. C’est un caissier de boulangerie, à l’UCAD, qui devient le héros de cette nuit noire.
La santé, cette grande oubliée
La lettre du Dr Diop est un miroir tendu au ministre. Elle ne nie pas les constats, elle les incarne. Et elle interpelle, fermement : « Recrutez les médecins qui chôment avant de les perdre », « Approvisionnez les urgences en médicaments », « Arrêtez de faire des hôpitaux des mouroirs à budget serré ».
Car derrière les statistiques se cachent des vies. Et derrière les vies, des soignants épuisés, qui improvisent, supplient, contournent les défaillances pour tenter de sauver ce qui peut l’être.
Entre discours et action
Le ministre Sy a promis une « analyse rigoureuse ». Mais le terrain, lui, demande des actes. La chronique tragique du Dr Diop montre que les nuits à l’hôpital ne sont pas que des heures creuses ; elles sont devenues les théâtres d’un drame sanitaire quotidien, où la vie dépend du système D, de la chance ou d’un caissier nocturne.
Ce débat public, brutal dans sa vérité, doit marquer un tournant. Car au-delà de la polémique, c’est l’avenir même de notre système de santé qui est en jeu. Et comme le rappelle la pneumologue, la santé n’a pas de prix — mais son absence, elle, coûte des vies.