Bombe écologique, insécurité, présence d’enfants sur le site: Mbeubeuss, une décharge au bord de l’asphyxie
mai 20, 2024
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Exploité depuis 1968, la décharge de Mbeubeuss, au-delà de recevoir des ordures quotidiennement, est le point de convergence d’agresseurs, de trafiquants de drogue… une bombe écologique que le
Exploité depuis 1968, la décharge de Mbeubeuss, au-delà de recevoir des ordures quotidiennement, est le point de convergence d’agresseurs, de trafiquants de drogue… une bombe écologique que le Gouvernement tente d’éteindre par l’installation d’unités industrielles. Le Ministre de l’Urbanisme, des Collectivités territoriales et de l’Aménagement du territoire Moussa Bala Fofana a fait le tour de la décharge hier.
Reportage de Babacar Guèye DIOP
Des familles entières s’entassant sur des abris de fortune comme des sardines se jettent dans les monticules d’immondices, dès les premières lueurs de l’aube, avec des nuées d’enfants happés par un univers interlope toujours aux aguets et boulimique. Des proies vulnérables en tout et protégés de rien : la drogue, le banditisme, les abus sexuels… De pauvres victimes qui se transforment, parfois, en prédateurs, les faibles ayant peu de chance de survivre dans cette jungle. À Mbeubeuss, le décor surréel épouse les contours d’un film de science-fiction. Des amas de détritus longeant des kilomètres aux senteurs putrides agressant l’organe de l’odorat. Une scène d’enfer sur le plan sanitaire et écologique que Moussa Bala Fofana, Ministre de l’Urbanisme, des Collectivités territoriales et de l’Aménagement du territoire a parcourue, hier, avec une délégation de la société nationale de gestion intégrée des déchets (Sonaged).
Logée dans la commune de Malika, département de Keur Massar, la décharge exploitée depuis 1968 offre un interminable défilé de camions chargés de déchets les uns et après les autres. Le soleil, peu clément, extirpe des corps de grosses gouttes de sueur. Mbeubeuss est le point de convergence des récupérateurs en quête de pitance. Il est 10h, Fatou Diop, récupératrice, a le visage crispé en une expression de douleur intense. Des coulées de sueur lui baignent le front. « On n’a pas où aller et donc, on vit dans cette décharge malgré tous les risques », se justifie la quadra, mère de 3 enfants. « Mon mari est récupérateur et tous mes 3 enfants sont nés ici », ajoute-t-elle, gestuelle lente. Assise sous l’éclairage chiche et blafard qu’offre son taudis, elle s’apitoie sur son sort. C’est le cas aussi de Daouda Sow, récupérateur également. Sa chemise complètement déboutonnée laissait voir un corps décharné qui n’arrive même pas à retenir son pantalon qu’il porte et qu’il est obligé de tenir à la ceinture pour l’empêcher de s’affaler. « Il y a des enfants, des adultes et des vieillards dans la décharge. On a de sérieux problèmes liés à l’insécurité. Nous cohabitons avec des vaches et nous vivons dans des conditions sanitaires extrêmement nocives », regrette M. Sow, présent à Mbeubeuss depuis 2011.
« Ma fille de 5 ans a été violée dans la décharge »
Jean bleu délavé et déchiré aux genoux, Aliou Basse, aux jambes interminables et robustes que chaussait une paire de baskets de couleur indéfinissable, rappelle que les récupérateurs recyclent 14 matières par jour dans le marché. « Des produits qui seront transformés et réutilisés », se félicite-t-il, dénonçant la mainmise d’une unité industrielle chinoise sur le site. Selon lui, cette entreprise qui a une convention avec la Sonaged exploite les récupérateurs. Dans cette faune, certains se lèvent quand le soleil se couche tandis que d’autres font l’inverse. Des femmes et des hommes trouvent dans ce dépôt d’ordures les conditions de leur épanouissement. Trafiquants de drogue, voleurs, agresseurs… la faim… justifient les moyens dans cet endroit où la misère se voit partout. « Ma fille de 5 ans a été violée ici », lâche, tête baissée, Aida Diop qui vit également sur le site.
Dans son monologue, voix tremblotante, Aida se souvient de cette triste journée : « C’était en 2020. J’étais partie avec son père pour récupérer des matériaux à vendre. À mon retour, j’ai trouvé ma fille en pleurs, le sexe tacheté de sang. C’était le jour le plus difficile de ma vie ». Après une visite où il est passé par toutes les émotions, Moussa Bala Fofana a rappelé que 3000 personnes vivent dans la décharge étalée sur 116 hectares. «Mbeubeuss est une bombe écologique. C’est une situation qui ne peut pas continuer. Aujourd’hui, la vision du Président de la République et du Premier ministre, est de mettre en place des unités techniques et mécaniques. Elles vont traiter ces déchets, les valoriser de manière sécuritaire et réduire l’impact sur l’environnement parce que nous avons des riverains qui souffrent de cette situation », a assuré le Ministre de l’Urbanisme, des Collectivités territoriales et de l’Aménagement du territoire.
Retirer les enfants vivant dans la décharge
Moussa Bala Fofana considère que les récupérateurs ne sont pas un problème. Mais l’avenir pour le Gouvernement, a-t-il mentionné, c’est de créer des métiers beaucoup plus modernes dans des unités industrielles de gestion et de transformation des déchets. « Les conditions dans lesquelles les gens travaillent ici ne peuvent pas continuer parce que cela nuit à la santé des hommes et des femmes présentes. Je me pose des questions sur leur espérance de vie, leurs conditions de vie », se désole M. Fofana accompagné de Momath Talla Ndao, Secrétaire d’État à l’Urbanisme et au Logement. De la même manière, l’État est déterminé à retirer tous les enfants vivant dans la décharge. « On a beaucoup investi dans les systèmes d’éclairage et la sécurité. Des hommes et des femmes s’occupent de la sécurité. Aujourd’hui, on va faire de sorte que les enfants ne puissent plus avoir accès à cette zone parce que ce n’est plus acceptable. Mbeubeuss n’est pas la place d’un enfant de 5, 10 ou 15 ans. Il y a des enjeux de sécurité, mais aussi de santé publique. C’est l’une des décisions qu’on va prendre très rapidement. On ne peut plus tolérer des enfants dans cette décharge », a-t-il conclu.
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Bala Moussa Fofana dénonce la gestion de la réhabilitation
En 3 ans, le Projet de promotion de la gestion intégrée et de l’économie des déchets solides (Promoged) a utilisé seulement 12% de son enveloppe financière estimée à 206 milliards de FCfa. Une donne qui a mis le Ministre Moussa Bala Fofana dans tous ces états, hier, lors de sa visite dans la décharge de Mbeubeuss. « C’est problématique. Sur 3 ans alors que l’on connait l’urgence de la situation, ce n’est pas normal. Notre objectif est d’inverser cette tendance et de focaliser notre action sur l’installation d’unités qui vont véritablement traiter un volume de déchets assez important pour sortir Mbeubeuss et les riverains de cette situation», a-t-il dit.