J’avais promis à mes amis de revenir le samedi pour reparler du foncier. Le samedi arriva vite. Je fis la remarque à Ngor qui était passé me prendre.
mai 27, 2024
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Ngor et moi, d’un pas alerte, « priment notre route » comme dirait mon frère Ivoirien kouadio. Bangou diaxlé était à trois rues de la maison familiale. Marcher
Ngor et moi, d’un pas alerte, « priment notre route » comme dirait mon frère Ivoirien kouadio.
Bangou diaxlé était à trois rues de la maison familiale.
Marcher dans la Médina est un océan de plaisir pour nous. Ce sont toujours des moments d’intenses émotions que de rencontrer de vieux amis de ce royaume de l’enfance, de de l’insouciance et de l’innocence, de serrer la main du vieux Mangoné, né vers 1923, selon Seydina son petit-fils, mais toujours là, le visage émacié, la peau collée aux os, le dos complètent courbé ; de saluer et de remettre quelques pièces de monnaie, qui font son bonheur, à la vieille Coura, elle aussi quasi-centenaire ; de montrer (rires) nos qualités de triple-sauteurs pour éviter les flaques d’eau de la pluie de la veille ; de s’arrêter un moment et de discuter avec Kiné, la vendeuse de « guertés ». Kiné, une brave même. Une femme brave aussi. Nous avons fait les bancs ensemble. Elle a dû abandonner l’école à cause d’une maman foudroyée par un AVC alors qu’elle était la seule fille de la famille. Maman est partie depuis…
Le samedi à la Médina a toujours été un jour spécial. Ce samedi ne dérogea pas aux règles et aux habitudes du mois de juillet, mois de vacances des enfants. La forte canicule avait poussé, comme d’habitude, les gens dans la rue, autour de séances de thé agrémentées du fameux « guerté xott » de saison.
Nous eûmes une pensée pour notre vieil ami Thiamass, parti avec la covid. Il adorait le samedi. Il était persuadé que le samedi était un jour exonéré de péchés, niché entre le saint vendredi et le saint dimanche. Il soutenait mordicus que les musulmans priaient le vendredi pour se faire pardonner les excès du lendemain et que les chrétiens allaient à la messe le dimanche pour éponger les « dérapages » de la veille. Il prenait très au sérieux sa thèse et le vendredi, il était au premier rang à la mosquée, toujours habillé d’un froufroutant grand boubou bien amidonné.
Nous passâmes devant « ker yaye ngoné ». Ainsi on appelait la maison familiale de notre ami d’enfance boy Marone. Yaye Ngoné était sa mère. Boy Marone était le seul membre du groupe à disposer d’une chambre. C’était alors devenu « notre chambre », notre coin à nous tous. Cette chambre, qui avait gardé son vieux toit en zinc, était le lieu de beaucoup de souvenirs car on y passait des heures et des heures.
Ngor, un sourire qui en dit long, rappela qu’on adorait, entre copains et copines qui pouvaient être quelquefois coquins et coquines, siroter le thé dans cette chambre, surtout, en période de vacances scolaires. Ces vacances coïncidaient avec la saison des pluies et rien ne valait un thé chaud, avec la fraîcheur de la pluie, entre amis, sous les cliquetis des gouttelettes de pluie qui s’écrasaient sur le toit en zinc. Ngor me fit revivre l’ambiance digne de night-club de cette chambre d’adolescents et nos pas de danse endiablés, au milieu des effluves de la cigarette de quelques uns d’entre nous, fumeurs précoces. J’eus la nostalgie de Biita bane, Saï-saï, Adama Ndiaye de Omar Pène, de Mbassa, Gossando, du Star Band et que dire du Womat, de Sett et de Wendelou du grand frère Youssou, du Mbarass et du Moulaye tcheuguine. La belle époque.
Au bout d’un quart d’heures, nous voilà à Bangou diaxlé.
Le peuple du grand-place attendait impatiemment mes explications ou plutôt mes cours sur le foncier. J’appréhendais déjà les traductions du bail emphytéotique, de l’enquête commode incommode etc. Ngor me demanda d’essayer d’être le plus simple, voire le plus terre à terre possible.
J’expliquai d’abord qu’au Sénégal, cohabitent deux types de terrains. Il y’a ceux qui sont immatriculés c’est-à-dire qui ont une matricule ou un numéro, qui sont inscrits dans un registre qu’on appelle LE LIVRE FONCIER et qui appartiennent soit à des personnes physiques comme vous et moi, soit à des personnes morales (sociétés par exemple), soit à l’Etat ou à ses démembrements.
Il y’a ensuite tous les autres terrains non immatriculés, qui n’appartiennent à personne…mais qui appartiennent à tout le monde. La gestion de ces terrains qui constituent le DOMAINE NATIONAL est cependant confiée à l’Etat pour une utilisation rationnelle au profit de la communauté.
Comme pour répondre à la première question de la semaine passée, je leur dis que malheureusement, au Sénégal, selon les dernières statistiques à ma disposition, seules 5% des terres sont immatriculés.
Adja, la vieille politicienne, m’interpella sur les terrains de l’Etat. Elle ne comprenait pas comment l’Etat pouvait avoir des terrains et pourquoi ?
Je lui expliquai que l’Etat est là, considéré comme une personne.
Je lui précisai que lorsqu’on parle de l’Etat, il faut jusque comprendre qu’on parle de nous tous, de toute la population, de tous les citoyens.
L’Etat est ainsi propriétaire d’un domaine composé d’un DOMAINE PUBLIC et d’un DOMAINE PRIVÉ.
Le DOMAINE PUBLIC (naturel ou artificiel) est constitué des biens insusceptibles d’appropriation par quelqu’un sauf déclassement. L’Etat en assure la gestion. Il ne peut être ni cédé, ni prêté car pouvant être utilisé par toute la population : par exemple les cours d’eau navigables, les emprises des routes, le sous-sol. Ainsi, l’emprise de la route qui se trouve devant votre maison n’est point votre propreté. Elle nous appartient à tous, étant du domaine public. Vous ne pouvez pas ainsi interdire de votre propre chef à quelqu’un de se garer devant votre maison sauf à avoir une autorisation précaire de la Mairie et contre paiement d’une redevance à la communauté. L’autorisation peut être retirée à tout moment, sans indemnité.
De même, sachez que si vous découvrez de l’or dans le sous-sol de votre maison, il ne vous appartiendra pas. Cet or appartiendra à la communauté.
Le DOMAINE PRIVÉ DE L’ETAT est composé des terrains acquis par l’Etat par divers moyens (immatriculation, expropriation, préemption etc.). L’Etat a ainsi des biens, en achète, peut en louer ou en vendre. Lorsque l’Etat vous loue un terrain de son domaine privé, on dit que vous avez obtenu un bail et lorsque vous le mettez en valeur, et sous certaines conditions, l’Etat peut vous le vendre définitivement. Le bail est donc une simple location.
Évidemment, à côté de l’Etat, les particuliers peuvent disposer de titres notamment de PERMIS D’OCCUPER. Ce sont, en principe, des autorisations précaires accordées par l’Etat sur son domaine. Cependant, voyez-vous mes amis, dans beaucoup de quartiers, notamment à la Médina, la plupart des familles ne disposent que de ces titres précaires.
Ibou sursauta et se demanda comment cela est-il possible ? Il se demanda aussi comment les gens ont pu obtenir des autorisations de construire avec ces titres précaires ?
Je lui dis que, pour aider les populations à obtenir des titres fonciers et régulariser ces incongruités foncières, l’Etat autorise désormais la transformation des titres précaires comme les permis d’occuper en titres fonciers.
Pour bénéficier de cette transformation, il suffit juste de déposer au niveau du bureau des domaines compétent une demande en ce sens, accompagnée de l’original du permis d’occuper.
Il n’y a aucun autre formalisme particulier et rien à payer.
Je lui dis alors que je ne comprends pas pourquoi les populations, particulièrement celles de la Médina, ne profitent pas encore de cette main tendue de l’Etat.
Les particuliers peuvent, par ailleurs, avoir des BAUX sur les terrains de l’Etat c’est-à-dire que l’Etat peut leur donner en location des assiettes foncières. Il est vrai qu’ils n’en sont propriétaires mais ces baux sont considérés comme des droits réels utilisables dans le commerce juridique, notamment comme garanties dans les banques.
Enfin, ils peuvent disposer de TITRES FONCIERS. Ce sont les titres suprêmes. Les juristes te diront qu’ils constituent les titres définitifs, intangibles et inattaquables pour les citoyens.
L’appel du muezzin m’arrêta net dans mes explications. La mine de mes amis montrait à suffisance qu’ils avaient encore tout un chapelet de questions à poser sur le foncier. Ndiaye-Ndanane suggéra une lumineuse idée. Il pensa qu’il fallait demander ceux qui me suivent sur Facebook et sur Linkedin de pouvoir me poser des questions auxquelles j’essaierai de trouver des réponses. Il me dit qu’un citoyen doit être au service de ses concitoyens.
J’acceptai. Ngor me dit de faire vite. L’heure de la prière était proche. Je pris congé de mes amis et leur donna rendez-vous le week-end prochain, en leur rappelant qui il leur était loisible de me contacter sur Facebook ou sur Linkedin.