[Portrait]: Relais de la flamme olympique (Paris 2024): Oumar Diémé, à la gloire des tirailleurs sénégalais
juin 3, 2024
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À 92 ans, Oumar Diémé va entrer dans l’histoire du sport et des Jeux olympiques. Ce natif de Badiana (département de Bignona) qui a fait la guerre d’Indochine
À 92 ans, Oumar Diémé va entrer dans l’histoire du sport et des Jeux olympiques. Ce natif de Badiana (département de Bignona) qui a fait la guerre d’Indochine et d’Algérie, sera porteur de la flamme olympique dans le département de la Seine-Saint-Denis fin juillet au nom des tirailleurs sénégalais qui ont sacrifié leurs vies pour libérer la France. Une première depuis la création des Jeux olympiques modernes en 1896.
Par Samba Oumar FALL
Il fait partie des 10.000 relayeurs qui auront le privilège de porter la flamme olympique, symbole d’unité et de paix, qui célèbre l’arrivée des Jeux à Paris. À défaut d’allumer la vasque, comme la légende de la boxe Mohamed Ali, aux Jo d’Atlanta en 1996, Oumar Diémé entrera dans l’histoire de l’olympisme. Il fera partie des porteurs de la flamme quand elle traversera la Seine-Saint-Denis, département situé au nord-est de Paris où il a vécu, avant de revenir au Sénégal.
Le natif de Badiana, dans le département de Bignona, et naturalisé français en 2017, n’a pas une carrière de champion ni une notoriété de star, mais ce tirailleur sénégalais a été choisi pour son parcours héroïque. En effet, c’est pour honorer les soldats coloniaux jetés dans les méandres de l’oubli que les autorités de ce département l’ont proposé au Comité d’organisation de « Paris 2024 » comme porteur de flamme.
Le port de la flamme olympique, tout le monde en rêve. Mais cette expérience unique n’est pas donnée à tout le monde. Pour Oumar Diémé, c’est un symbole fort de voir un ancien tirailleur sénégalais porter la flamme, un honneur pour Badiana, son village natal, la Casamance, le Sénégal et l’Afrique, mais aussi pour tous les tirailleurs sénégalais et leurs familles. « C’est un grand honneur. Ce ne sera pas seulement pour les Sénégalais mais pour ses frères d’armes venus d’Afrique et qui se sont battus pour la France », précise-t-il.
Selon lui, l’olympisme n’a rien à voir avec l’Armée. Mais leur engagement, à Bondy, dans le département de la Seine-Saint-Denis y est pour beaucoup. « À chaque fois qu’il y a des événements et des cérémonies comme des défilés, on y participe. Tout dernièrement, on a fait le tour de certains lycées et collèges pour expliquer aux élèves la longue marche des tirailleurs sénégalais pour libérer la France, parce que les autorités ne parlent jamais de ça aux enfants. Par la suite, beaucoup d’établissements nous ont sollicité pour en savoir davantage sur l’histoire des tirailleurs », fait remarquer Oumar Diémé qui remercie Aïssatou Seck, cette élue de Bondy, par ailleurs présidente de l’Association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais, qui les a beaucoup aidés dans leur bataille contre l’État français pour l’obtention de la nationalité française. « Cette femme nous a découvert à Bondy, quand nous nous battions pour la régularisation de nos papiers. C’était difficile, car on nous rétorquait que nous n’avons pas travaillé pour la France. Elle nous a abordés, a pris nos dossiers en main et a initié une pétition qui a recueilli plus de 60.000 signatures », ressasse Oumar Diémé. L’issue sera heureuse, puisqu’une quarantaine de tirailleurs bénéficieront d’une naturalisation en 2016. « Quand le président François Hollande a eu vent de l’initiative, il a régularisé les tirailleurs qui étaient encore sur le territoire français. C’était une belle victoire. On aurait souhaité que ceux restés au pays en bénéficient aussi mais on leur demandait de venir en France. Ce qui était apparemment difficile », indique-t-il.
Né en 1932, à Badiana, Oumar Diémé fait partie de cette longue lignée d’anciens combattants qui ont fait la fierté de cette partie du pays par leur bravoure, leur engagement. « Ils sont une vingtaine à avoir fait 14-18 et 39-45 et je fais partie des derniers tirailleurs de cette partie du pays », fait-il savoir.
De la classe 1952, Oumar Diémé est incorporé le 6 mars 1953. Dans la même année, il est envoyé au front, en Indochine, alors possession française, jusqu’en 1954, avant de repartir, en 1959, pour la guerre d’indépendance de l’Algérie. « Avec l’avènement de l’indépendance, le président Senghor nous a rapatriés afin que nous contribuions à la formation de l’Armée sénégalaise après 10 ans de service dans l’armée française », renseigne le soldat Diémé qui a fait beaucoup d’unités après son reversement dans l’Armée sénégalaise. Bakel est son premier poste. C’était en octobre 1962, se souvient-il. Il est ensuite affecté à Bignona, puis à Saint-Louis. Dans la ville tricentenaire, il rejoint la deuxième Compagnie des travaux du génie (Ctg), sous les ordres du lieutenant Mohamed Keïta. « À Saint-Louis, j’ai participé à la construction de la route Richard-Toll-Dagana, un tronçon de 22 km. Puis, en 1963, j’ai rejoint la première Ctg de Kaolack pour la construction du tronçon Thilmakha-Darou Marnane. On était venus en renfort pour qu’ils puissent terminer les travaux avant l’hivernage », fait-il savoir.
Un moment historique pour les anciens combattants
Après le génie, Diémé rejoint le Bataillon d’infanterie, mais échoue au Cat 2. « Je n’ai malheureusement pas été à l’école, j’avais des problèmes avec les mathématiques. J’ai échoué à l’examen, mais cet échec ne m’a point déstabilisé », informe-t-il. Il est ensuite affecté au groupement para, avant de rejoindre le 12e Bataillon d’instruction Deh Momar Gary de Dakhar-Bango, de 1965 à 1967. A 35 ans, ses supérieurs lui proposent de passer le brevet para, mais il n’est pas trop séduit par l’idée. « Mon commandant m’avait dit que j’avais la trouille. Cette remarque m’avait beaucoup vexé et m’avait poussé à me rebiffer. Je me suis inscrit et j’ai surclassé tous les autres candidats au 8 km et décroché avec brio mon brevet », se réjouit le rescapé des guerres de décolonisation françaises qui a pris sa retraite à 36 ans.
Depuis 1988, Oumar Diémé est établi en France où il était contraint, comme ses autres frères d’armes, à rester six mois pour pouvoir percevoir son allocation minimum vieillesse de 950 euros par mois. Il n’est revenu au Sénégal qu’en avril 2023. « Le gouvernement français nous a accordé le droit de continuer à toucher le minimum vieillesse sans devoir passer la moitié de l’année en France », se félicite-t-il.
Allumée, selon la tradition antique, à Olympie, en Grèce, le mardi 16 avril, la flamme olympique est sur le sol français depuis le 9 mai. Le relais a débuté le 9 mai, à Marseille, à la basilique Notre-Dame-de-la-Garde. Basile Boli a été le premier à porter la torche qui arrivera à Paris, le 26 juillet. Quelques jours avant, elle sera brandie dans les rues de Bondy, au nom de tous les combattants africains qui ont servi dans l’armée française. Une reconnaissance tardive, certes, mais une reconnaissance tout de même, selon Oumar Diémé, qui piaffe d’impatience de vivre ce moment historique. Il est convoqué, ce mardi 4 juin 2024, au consulat de France pour les formalités d’usage. « La désignation, c’est certainement pour nous faire croire qu’ils ne nous ont pas oubliés. Mais on ne va pas s’arrêter en si bon chemin. On va continuer le combat », assure le natif de Badiana.