Carmen Hagenaars, Ambassadrice des Pays-Bas à Dakar : Le Sénégal demeure un modèle de résilience et de vitalité démocratiques »
juillet 10, 2024
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Ambassadrice du Royaume des Pays-Bas au Sénégal depuis 2023, Carmen Hagenaars se félicite de la vitalité de la coopération entre son pays et le Sénégal. Elle met l’accent
Ambassadrice du Royaume des Pays-Bas au Sénégal depuis 2023, Carmen Hagenaars se félicite de la vitalité de la coopération entre son pays et le Sénégal. Elle met l’accent sur l’importance de la co-création pour bâtir des partenariats équilibrés.
Entretien réalisé par Matel BOCOUM (Textes) et Ndeye Seyni SAMB (Photos)
Le Royaume des Pays-Bas s’est inscrit dans un élan d’ouverture avec ses partenaires africains. Quel est actuellement l’état de la coopération entre votre pays et le Sénégal ?
Les relations entre les Pays-Bas et le Sénégal sont excellentes et se fondent sur un respect mutuel. Nous avons ouvert une ambassade à Dakar en 1960 et sommes l’un des premiers pays à reconnaître le Sénégal comme État. Au fil du temps, nos deux nations sont parvenues à tisser de solides liens d’amitié, basés sur des valeurs communes. Au plus haut niveau, nos leaders politiques respectifs ont maintes fois démontré leur ambition de consolider cette coopération bilatérale. Au cours de l’entretien téléphonique qu’il a eu avec le Président Bassirou Diomaye Faye, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte s’est ainsi réjoui de l’excellente coopération entre nos pays et a profité de cette occasion pour inviter son homologue sénégalais à visiter les Pays-Bas comme l’ensemble de ses prédécesseurs depuis le Président Senghor. Tout compte fait, le partenariat sénégalo-néerlandais se porte comme un charme. Nos gouvernements respectifs ont jeté les bases d’une collaboration vertueuse dont nous sommes particulièrement fiers et que nous cherchons sans cesse à améliorer. Nous devrons résoudre, ensemble, des défis mondiaux majeurs tels que les guerres, le changement climatique et l’extrémisme. Ce qui caractérise souvent les Néerlandais, c’est qu’ils recherchent la coopération et la « co-création ». D’après mon expérience, cela correspond bien à la vision sénégalaise de la coopération internationale. Dans ce contexte, nous nous félicitons de l’entraînement militaire conjoint avec les Américains et le Sénégal « African Lion » au mois de mai dernier, dans le nord à Djodji. Plus de 200 militaires néerlandais y ont participé.
Quelles sont vos attentes par rapport au nouveau régime ?
Je tiens, avant tout, à féliciter le peuple sénégalais pour son sens élevé de la responsabilité et pour la maturité dont il fait preuve en toutes circonstances. En dépit des obstacles dressés sur sa route, le Sénégal demeure un modèle de résilience et de vitalité démocratiques. Le choix clair porté sur le Président Faye est un témoignage éclatant de l’espoir suscité par sa démarche politique et de la profonde volonté de changement exprimée par le peuple sénégalais. En peu de temps, le chef de l’État a montré sa détermination à répondre aux attentes en prenant une série d’initiatives destinées à transformer le visage du Sénégal. À cet égard, nous espérons vivement que les Pays-Bas pourront contribuer à cette dynamique à travers la poursuite d’un partenariat fécond, respectueux et mutuellement bénéfique. À
ce jour, les discussions que nous avons eues avec les nouvelles autorités se sont révélées fructueuses et nous incitent à penser qu’elles sont tout à fait disposées à renforcer la collaboration entre nos deux pays. Par ailleurs, c’est principalement au peuple sénégalais d’avoir des attentes à l’égard de son nouveau gouvernement. Le Sénégal dispose d’institutions démocratiques fortes, comme cela est apparu clairement lors des élections. C’est extrêmement important. Il constitue une base solide pour le développement futur du pays.
Votre pays n’a pas échappé à la montée de l’extrême droite en Europe avec son nouveau gouvernement installé le 2 juillet 2023. Quel sera, à votre avis, l’impact sur votre politique étrangère ?
C’est une tendance générale que l’on observe notamment avec les élections au Parlement européen. Les partis de droite et du centre sont également présents. Cette montée est la résultante des réactions face à diverses crises. Si les conséquences de la montée de l’extrême droite sont encore imprévisibles, je reste convaincue que nous avons tous besoin les uns des autres.
L’extrême droite est synonyme, dans l’imagerie populaire, de programme anti-immigration. Les craintes suscitées par cette percée spectaculaire se justifient-elles à votre avis ?
Nous traversons actuellement une crise humanitaire, cela nous touche profondément. La question de l’immigration, surtout irrégulière, n’est pas évidente à gérer, mais nous estimons que nos gouvernements doivent travailler ensemble afin de trouver des solutions viables.
Pouvez-vous nous rappeler les grands axes de votre politique étrangère ?
Les Pays-Bas sont favorables à une approche intégrée de la politique internationale. Les questions de paix et de sécurité, de bonne gouvernance et de droits humains, de commerce, de climat et de migration sont toutes étroitement liées. Dans nos relations bilatérales, nous accordons une attention particulière au commerce extérieur ainsi qu’à la coopération économique, et nous travaillons davantage sur des thèmes dans lesquels les Pays-Bas possèdent une expertise particulière, comme la gestion de l’eau et l’agriculture. Aussi, les Pays-Bas s’engagent fortement pour des objectifs internationaux dans le domaine du climat, de la santé et de l’ordre juridique international. Le renforcement de l’ordre juridique international constitue un des piliers importants de la politique étrangère des Pays-Bas. Ceci est même prescrit par la Constitution. En fin de compte, les Pays-Bas croient en un monde guidé par des accords et des règles universelles. Nous ne voulons pas nous retrouver dans un monde où s’applique la loi du plus fort. Je pense que c’est une valeur fondamentale que partagent les Pays-Bas et le Sénégal. En outre, la politique étrangère des Pays-Bas, en tant que l’un des fondateurs de l’Union européenne, vise à contribuer à une action européenne unie sur la scène mondiale.
Quels sont les domaines prioritaires pour le Sénégal ?
Notre partenariat cible une société durable et inclusive. Dans les domaines de la politique et de la sécurité, du commerce, des droits humains, de la culture et de l’emploi, les échanges et la coopération ont lieu à tous les niveaux. Une de nos priorités est d’accompagner le Sénégal dans son ambition de transition vers une économie verte. Concrètement, les entreprises néerlandaises du secteur horticole et maritime répondent aux normes internationales. Elles sont prêtes à répondre à la demande d’expertise au Sénégal. Il existe déjà de nombreux exemples remarquables. La moitié des oignons consommés au Sénégal sont importés des Pays-Bas. En tant qu’ambassadrice de ce pays, je suis, bien sûr, heureuse que notre oignon soit si populaire ici. Mais cela signifie également qu’il existe un marché important pour que les experts néerlandais travaillent avec le Sénégal à la modernisation de l’horticulture afin que les oignons puissent être produits localement. Nous souhaitons élargir cette coopération en vue de développer d’autres projets dans le domaine des infrastructures publiques, comme la protection des côtes.
Le Sénégal a-t-il su créer, à votre avis, les conditions nécessaires pour susciter l’intérêt des investisseurs néerlandais ?
Oui, de plus en plus d’entreprises s’installent au Sénégal. La mission commerciale l’a également démontré. C’est une tendance très positive, qui montre que le Sénégal est devenu une destination intéressante pour les investisseurs. En tant qu’ambassade, nous entretenons des contacts étroits avec les investisseurs néerlandais et les aidons s’ils rencontrent des difficultés, par exemple dans le domaine des droits fonciers ou des procédures d’appel d’offres compliquées. L’ambassade a élaboré un guide des affaires dans lequel nous mentionnons un certain nombre d’aspects importants que les entreprises néerlandaises venant au Sénégal doivent prendre en compte.
Sur quels leviers faudra-t-il s’appuyer pour renforcer cette dynamique de partenariat ?
Un partenariat entre deux pays va au-delà des relations diplomatiques formelles. Ce sont précisément les gens qui façonnent cela. Il peut s’agir des étudiants, entrepreneurs, artistes, scientifiques, pour ne citer que ceux-là. La véritable compréhension entre les pays et les cultures naît uniquement lorsque les gens se rencontrent. J’espère que davantage de Néerlandais trouveront le chemin du Sénégal. En tant qu’ambassade, nous serons toujours prêts à les conseiller.
Les Pays-Bas ont soutenu, ces dernières années, la promotion de l’entrepreneuriat dans notre pays. Pouvez-vous nous parler des initiatives développées jusque-là et des perspectives qui s’offrent dans le cadre de cette coopération bilatérale ?
Les Pays-Bas sont convaincus que l’avenir appartient à une jeunesse formée et outillée. Dans cette perspective, nous soutenons le Sénégal dans ses objectifs pour la création d’emplois et l’entrepreneuriat des jeunes. Les startups et les très petites entreprises créés par des jeunes ont beaucoup à apporter pour promouvoir le savoir-faire et les richesses locales. À travers « Orange Corners Sénégal », nous offrons un programme d’incubation et de mentorat à 40 startups par an. Le coaching, la mise en relation avec d’autres chefs d’entreprise et surtout l’accès au financement sont indispensables pour la réussite de ces jeunes entreprises. Avec nos partenaires, nous souhaitons contribuer positivement à l’écosystème sénégalais qui est en plein boom. En étant un des premiers pays ouest-africains à créer une loi « Startup Act », le Sénégal revendique sa place de leader dans l’entrepreneuriat des jeunes. Par ailleurs, nous avons cofinancé le programme « Réussir au Sénégal » avec nos partenaires de la coopération allemande. Il s’agit d’une contribution importante qui a aidé à développer des opportunités entrepreneuriales pour les jeunes dans presque toutes les régions du Sénégal. Actuellement, nous cofinançons dans une démarche « Team Europe » une autre grande initiative que nous appelons Initiative Fit. Elle a pour objectif d’accompagner les jeunes dans des emplois décents et durables dans les métiers liés aux Jeux olympiques de la jeunesse « Dakar 2026 » : 25.000 jeunes seront formés et 3.000 diplômés bénéficieront aussi d’un premier emploi. Je ne pourrais ne pas citer nos actions contribuant à la création d’emplois salariés grâce à un partenariat avec le secteur privé. Nous avons précisément un important programme appelé Challenge Fund for Youth Employment (Fond d’Appui à l’emploi des jeunes) qui agit dans ce domaine.