1er MAI : UNE FÊTE DU TRAVAIL VIDÉE DE SA SUBSTANCE REVENDICATIVE ?
mai 3, 2025
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Chaque année, le 1er mai revient avec son lot de discours convenus, de décorations d’entreprises, de primes distribuées ici et là, comme une médaille d’honneur pour bons et
Chaque année, le 1er mai revient avec son lot de discours convenus, de décorations d’entreprises, de primes distribuées ici et là, comme une médaille d’honneur pour bons et loyaux services. Pourtant, cette journée n’est pas née pour récompenser les travailleurs dociles ni pour servir d’alibi social aux entreprises en quête de respectabilité. Elle puise ses racines dans les luttes ouvrières les plus dures — Chicago, 1886 — pour obtenir une journée de huit heures. Le sang y a coulé. Le prix fut lourd. Le symbole, immense.
_Mais aujourd’hui, que reste-t-il de cette flamme contestataire ?_
Dans bien des lieux de travail, le 1er mai s’est vidé de sa charge politique et sociale. Il est devenu un jour « férié » quasi festif, où l’on célèbre l’effort sans remettre en cause les conditions de cet effort. Dans certaines entreprises, c’est même la direction qui orchestre la fête, avec discours, cocktails et promesses floues, comme s’il s’agissait de célébrer l’anniversaire d’un succès entrepreneurial plutôt que de raviver la mémoire des luttes sociales. Ce glissement progressif transforme une journée de combat en un rituel de bonne conduite.
Jamais les conditions de travail n’ont été aussi précaires pour tant de personnes. Les CDD se succèdent, les licenciements abusifs se banalisent, et les violations du droit du travail deviennent des pratiques ordinaires. Des travailleurs sont renvoyés sans préavis, sans explication, sans défense. Les garde-fous légaux sont contournés. Les syndicats, souvent inaudibles, semblent plus préoccupés par leur position que par les cris du terrain.
Il est temps de rappeler que le 1er mai ne peut et ne doit pas se résumer à la fête des salariés du secteur formel, en costume ou en blouse d’entreprise. Il doit être la fête de tous les travailleurs, dans leur pluralité et leur dignité : l’ouvrier du chantier, le livreur à moto, le tailleur du coin, l’enseignant de brousse, la ménagère épuisée, le pêcheur artisanal, le taximan, le vendeur ambulant, l’aide-soignante sous-payée, le vigile de nuit, l’agriculteur oublié… Tous ceux dont le labeur fait tourner l’économie et la société.
Réduire le 1er mai à une célébration institutionnelle, cloisonnée aux grandes entreprises, trahit son essence. Cette journée doit redevenir un moment de solidarité populaire, un cri collectif contre l’injustice, un rappel que tout travail mérite reconnaissance, protection, et surtout, respect. Car c’est dans cette inclusion que réside la vraie puissance du mot travailleur.
L’affaiblissement du mouvement syndical s’explique en grande partie par la prolifération anarchique de structures syndicales. Comme dans le champ politique, chaque désaccord donne naissance à un nouveau syndicat. Rivalités d’ego, leaderships conflictuels, calculs d’influence… Résultat : une myriade de syndicats sans coordination ni stratégie unitaire. Cette dispersion affaiblit le rapport de force face aux employeurs et à l’État. La lutte devient désorganisée, diluée, inaudible.
À cela s’ajoute le poids de dirigeants syndicaux usés par le temps, installés depuis des décennies à la tête de leurs centrales, parfois déconnectés des réalités contemporaines du monde du travail. Le manque de renouvellement générationnel et l’absence de formation des jeunes leaders contribuent à un syndicalisme sclérosé, souvent plus préoccupé par ses privilèges que par ses missions historiques.
Le 1er mai devrait être le miroir des souffrances : celles des travailleurs jetés comme des chiffons usés, des heures supplémentaires jamais payées, des dépressions silencieuses, des jeunes enfermés dans le piège des stages à répétition, des pères de famille licenciés par SMS, des femmes épuisées entre ménages informels et petits boulots sans contrat, des retraités poussés vers la misère.
Il ne doit pas être une parenthèse festive, mais une journée de vérité sociale. Une journée de lutte. Une journée d’unité. Une journée pour rappeler que le travail n’est ni une faveur ni une grâce, mais un droit. Et qu’il doit s’exercer dans la dignité.
Tant que cette journée ne redeviendra pas ce qu’elle est fondamentalement — la fête du travailleur en lutte, uni, écouté, protégé — elle restera un décor creux, une illusion commode. Et les véritables combats resteront orphelins.