CHRONIQUE : LA HAINE ET LA MÉCHANCETÉ, CES DEUX PESTES SANS VACCIN
octobre 12, 2025
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Ces deux poisons sociaux, devenus les nouveaux étendards de nos querelles et de nos rancunes, gangrènent lentement l’âme sénégalaise. Jusqu’à quand laisserons-nous ces monstres étouffer notre teranga légendaire
Ces deux poisons sociaux, devenus les nouveaux étendards de nos querelles et de nos rancunes, gangrènent lentement l’âme sénégalaise. Jusqu’à quand laisserons-nous ces monstres étouffer notre teranga légendaire ?
Il y a encore peu, le Sénégal savait sourire. Oui, ce pays portait dans ses gènes la chaleur du nguéweul, la bonté du teranga, la noblesse du pardon. On y vivait avec cette élégance du cœur qui faisait qu’un inconnu devenait frère, et qu’un repas partagé valait traité de paix. Mais voilà qu’un vent mauvais s’est levé. Invisible, corrosif, vénéneux. Deux bêtes immondes ont pris racine dans le jardin national : la haine et la méchanceté. Deux pestes sans vaccin, deux cancers qui rient de nos serments de fraternité.
Regardez autour de vous : tout suinte le fiel. Sur les réseaux sociaux, les mots ne servent plus à dire, mais à mordre. Dans les rues, les regards ne saluent plus, ils soupèsent. Dans les familles, les langues se font rasoirs. Et dans les cœurs, la douceur sénégalaise a déserté comme une gazelle effrayée par le feu.
La haine a désormais un accent local. Elle parle wolof, sérère, pulaar, diola ou français, selon la cible du jour. Elle se faufile dans les débats politiques, grimée en patriotisme ; elle s’invite à table, drapée dans la morale. La méchanceté, elle, n’a pas besoin de raison. Elle se nourrit d’envie, de rancune, de ces petites aigreurs quotidiennes qui finissent par devenir des tempêtes morales. C’est une hyène qui rit quand son frère tombe, un scorpion qui pique sans faim, juste pour le plaisir d’injecter son venin.
Et pendant ce temps, la nation chancelle. Le tissu social s’effiloche, fil après fil, dans l’indifférence générale. Nous sommes devenus un peuple qui se déchire pour un rien, qui juge avant de comprendre, qui condamne avant d’écouter. Un peuple qui a troqué sa teranga contre la raillerie, sa sagesse contre la perfidie, son unité contre la suspicion.
Ah, que de sermons pour rien ! On invoque Dieu, on cite les marabouts, on multiplie les prières, mais nos cœurs restent aussi secs qu’un puits en saison chaude. La haine et la méchanceté ont fait de nous des bigots sans bonté, des croyants sans compassion, des patriotes sans amour. Elles ont bâti leur royaume sur notre hypocrisie collective, et chaque jour, nous leur offrons une nouvelle couronne.
Ne cherchez pas les coupables : ils portent nos visages. Car la haine ne vient pas d’un autre peuple, ni la méchanceté d’une autre race. Elles naissent ici, dans nos salons, nos claviers, nos prières même. Elles se nourrissent de nos silences, de nos lâchetés, de ce plaisir malsain qu’on prend à salir l’autre pour se sentir propre.
Le Sénégal, cette patrie de la teranga, risque de devenir le musée de sa propre décadence morale. Nous étions le pays du sourire ; nous voilà devenus le pays du soupçon. Nous étions le peuple du partage ; nous voilà les disciples de la perfidie.
Et pourtant, tout n’est pas perdu. Il suffirait que chacun désarme son cœur, oui, simplement désarmer son cœur pour que le miracle recommence. Car il n’y a pas de vaccin plus puissant que la bonté, pas de remède plus efficace que la tendresse. Mais si nous persistons à nourrir ces deux monstres que sont la haine et la méchanceté, alors un jour, nous nous réveillerons orphelins de nous-mêmes, étrangers dans notre propre pays.
Et ce jour-là, il ne restera du Sénégal que le souvenir d’une lumière éteinte par le venin des hommes.